Le savoir me rend-il nécessairement libre ?

 

 

 

 

                                   Affirmer que le savoir est la condition  de ma liberté revient à penser que l'enjeu de toute liberté est un enjeu de connaissance. Dans une telle perspective, il y aurait une continuité entre le savoir que l'on possède et la liberté dont on jouit. Le savoir serait une forme de pouvoir et de maîtrise ; ma puissance d'agir serait proportionnelle à mon savoir : plus je connaîtrais, plus mon pouvoir serait accru, plus je serais, par conséquent, libre.

                                   Toutefois, une telle connaissance, salvatrice et libératrice, n'est-elle pas, après tout,  qu'une exigence mythique ? Le savoir est-il, en effet, une condition suffisante pour atteindre à la liberté ? N'est-ce pas là un rêve prométhéen ?[1] Une compensation imaginaire que la pensée se donnerait à elle-même pour justifier son propre effort ?[2]

            Pour ne pas sombrer dans un renoncement cynique ("A quoi bon chercher à savoir ?"), le penseur aurait besoin de se donner, comme fin de sa recherche, cet idéal de sagesse, cet idéal d'une pensée libératrice, dans lequel il n'y aurait aucune rupture entre l'ordre de la connaissance et l'ordre de l'action. Or, cet idéal d'une pensée libératrice n'est peut-être qu'un postulat imaginaire : je peux bien savoir sans être en mesure d'agir ; loin d'être le moyen de ma liberté, le savoir me découvrirait au mieux quelle est ma condition, m'apprendrait au mieux que je ne suis pas libre et ce qui m'empêche de l'être, mais sans me donner encore la possibilité de changer cette condition.

                                    Est-ce à dire que la liberté ne se pose jamais en terme de savoir ? Dans une telle perspective, la liberté ne serait que le produit de mon ignorance : je croirais être libre parce que je ne vois pas mes chaînes. N'a-t-on alors le choix qu'entre un savoir impuissant et une liberté illusoire, qui ne serait que l'envers de notre ignorance ?

            Dans un premier temps, nous verrons dans quelle mesure le savoir n'est pas la condition suffisante de ma liberté, puis nous verrons comment la liberté engage, toutefois, un enjeu de connaissance.            

 

            I. Le savoir n'est ni la condition suffisante, ni la condition nécessaire de ma liberté.

 

                        A. Savoir n'est pas encore pouvoir.

 

            1. En effet, tout le savoir que je possède ne me dit pas encore comment agir.

                                    Je peux bien être un grand savant et être un piètre homme d'action ; toute ma science, quelle que soit son étendue, ne me garantit pas de l'impuissance. C'est bien là d'ailleurs tout le problème de l'action, ce qui la rend si difficile, ce qui peut la rendre tragique : elle ne peut être objet de science. Ce hiatus[3] entre l'ordre de la science et l'ordre de l'action, Aristote en donne une raison, dans l'Ethique à Nicomaque : là où la science porte sur l'universel, l'action, elle, me confronte à la contingence. Or, le contingent ne peut pas être objet de science : ce qui est contingent, en effet, change sans cesse; comment dégager la loi de ce qui ne cesse pas de changer ? Qui veut agir doit bien faire face à cette contingence, qui prend toute sa signification dans la question : quand dois-je agir ? Aucune science, en effet, ne peut m'enseigner le moment propice, le moment opportun, pour agir, ce que les grecs appelaient le kairos, ce dernier étant par excellence imprévisible : le fin stratège militaire est celui qui sait se saisir du moment propice pour lancer ses troupes ; le bon cuisinier, pour mêler ses sauces ; l'habile séducteur, pour déclarer sa flamme. [4] Cela, nul ouvrage, nul traité ne peut leur enseigner, et chacun d'eux sait fort bien que l'occasion d'agir ne se présente jamais deux fois. En ce sens, celui qui agit fait l'épreuve du temps et affronte son irréversibilité. C'est pourquoi, pour les grecs, l'homme d'action n'est pas doué de science, mais plutôt de métis, intelligence rusée qui est le propre de celui qui sait s'adapter à toutes les circonstances et les tourner en sa faveur. 

            Ainsi, tout mon savoir n'est pas encore suffisant pour maîtriser les conditions de l'action: il n'y a pas de relation nécessaire et complémentaire entre mon savoir et mon pouvoir. Comme le note Aristote au début de la Métaphysique, je peux bien posséder la "notion sans l'expérience", c'est-à-dire que je peux bien posséder une science et être incapable de l'appliquer: or, comme il le note à propos de la médecine, "ce qu'il faut [avant tout] c'est guérir l'individu", et ce n'est pas parce que je connais la cause de son mal que je suis encore en mesure de le guérir.

 

            2. Par conséquent, je peux bien voir le meilleur et faire le pire, comme nous le rappelle l'adage classique. Tout mon savoir ne me garantit pas nécessairement de l'échec et de la servitude : tous les décrets de ma raison peuvent bien s'avérer tout à fait inefficaces dans l'ordre pratique (si l'on entend par pratique, ici, ce qui se rapporte aussi bien à l'action qu'à la morale). Ainsi, comme le note ironiquement Montaigne dans ses Essais, si l'on accrochait le plus sage des philosophes (un de ces philosophes qui a tant décrié l'illusion des sens) tout en haut d'une des tours de Notre-Dame, dans une cage solidement amarrée, il tremblerait de tous ses membres et cela même s'il sait qu'il ne peut pas tomber. Toute la sagesse, dont il se prévaut, ne l'empêche pas d'être victime de son imagination. Comment donc le savoir pourrait-il me rendre libre, si toutes mes connaissances, si vastes soient-elles, ne me permettent pas d'agir efficacement, ne sont pas le signe d'une maîtrise des conditions de l'action et de moi-même ? Ainsi, Aristote, de relever ironiquement dans l'Ethique à Nicomaque (Chapitre 7, Livre III) :

             "Même les gens qui sont emportés par les passions peuvent débiter des démonstrations et des vers d’Empédocle ».

 

            B. Les grands mythes du savoir libérateur.

 

            1. Si le savoir n’est ainsi le gage d’aucun pouvoir et n’est la garantie d’aucune maîtrise, pourquoi ce mythe est-il perpétuellement remotivé par toute une tradition qui interprète le savoir et la science dans une perspective hédoniste ? Un tel « mythe » n’a peut-être pour unique vertu que de garantir et de prolonger l’autorité du maître sur le disciple,  ce dernier étant "savamment" entretenu dans cette illusion d'un affranchissement possible par la connaissance. Ne faut-il pas, en effet, une carotte pour faire avancer l'âne ? N'est-il pas institutionnellement nécessaire, pour maintenir l'ordre social, que chacun puisse croire en cette vertu libératrice de l'acquisition du savoir, de l'éducation, que tous se bercent dans l'illusion d'un savoir qui dispenserait les rôles sociaux égalitairement et selon les mérites ? La foi en l'égalité sociale passe par la croyance en un savoir libérateur, une manière de rendre l'individu responsable de son destin social : il n'appartiendrait qu'à lui de savoir pour pouvoir ; s'il échoue, ce ne peut être que par manque de courage, par paresse. N'est-ce pas là un merveilleux antidote contre toute protestation sociale ? L'idée d'un savoir libérateur serait ainsi le meilleur moyen de prévenir tout scepticisme politique, une belle idée pour que l'Etat dorme du sommeil "du juste"...

 

            2. Loin d'être l'instrument de notre liberté, notre savoir ne nous découvre-t-il pas alors notre impuissance ? Dans le Livre VII de la République, celui qui est sorti de la caverne, quand il s'avise d'y redescendre pour libérer de l'illusion ses camarades enchaînés, prête à rire ; s'ils le pouvaient, ces derniers lui tordraient le cou. Et, -que Platon et toute la vénérable tradition nous pardonne- ne peut-on pas leur donner raison ? Que veut, en effet, celui qui tient un discours de vérité ? Leur apprendre qu'ils ne sont pas libres, leur ouvrir les yeux sur leurs chaînes ? Mais un lien qui ne me blesse pas, un lien qui je n'éprouve pas comme une contrainte, un lien qui est devenu mon ethos, mon "habitat", comment pourrais-je y voir une chaîne ? Le problème, au fonds de la caverne, c'est la vie, le problème, c'est de vivre et de vivre au mieux : est-ce l'illusion qui nous permettra de bien-vivre ? Et bien, préférons alors l'illusion à la vérité ! Car qu'importe après tout le degré de vérité de l'idée à laquelle je m'attache, l'important n'est-il pas ce qu'elle me fait être et ce qu'elle m'interdit d'être ? Que vient annoncer l'"halluciné" de la vérité ? Que ce monde illusoire est définitivement invivable  ? Mais peut-on séjourner dans la vérité dont il nous parle ? S'agit-il donc, comme nous le propose Platon,  de tourner les âmes vers la vérité par l'éducation ? Mais quelles âmes ? Les âmes des "meilleurs naturels".[5] Or, que feront ces "meilleurs naturels", propres à gouverner ? Ils s'efforceront de tourner la Cité vers le Bien, "en unissant les citoyens par la persuasion ou la contrainte, et en les amenant à se faire part les uns aux autres des avantages que chaque classe peut apporter à la communauté" . Que font-ils sinon prendre la place des "montreurs de marionnettes" ? En guise de vérité : d'autres images ; en guise de liberté : un autre type de lien...

 

            3. Par conséquent, un tel savoir libérateur est-il autre chose que le mythe chimérique d’un certain idéalisme, qui croit en la force démiurgique des idées ? N’est-ce pas la pire des illusions que de croire ainsi que les idées seules disposent de la réalité, qu’il suffit pour changer les conditions réelles de la vie des hommes de bouleverser leurs représentations ? C’est cette force fictive des idées dont Marx entreprend la critique dans l’Idéologie allemande : par « idéologie », il faut entendre justement cette illusion qui consiste à attribuer un pouvoir aux idées, tel que la réalité ne serait que le produit de celles-ci et de leur conflit. Les idéalistes, qui se bercent d’un tel rêve, sont dans la même position que ce « brave homme », nous dit Marx, qui pensait sauver les hommes de la noyade en les persuadant qu’ils étaient victimes de cette idée superstitieuse et chimérique : la pesanteur. Les représentations de la conscience, loin de régler l’existence, ne sont que le reflet des conditions matérielles de la vie des hommes et notamment des formes actuelles de leur activité. En ce sens, de telles représentations ne sont qu’un « miroir aux alouettes » et qui croit transformer l’existence réelle des hommes en critiquant leurs représentations ne fera, au mieux qu’une révolution de ...mots, opposant une « phraséologie » à une « phraséologie ». Partant, la liberté des hommes ne se décide pas dans le huis-clos imaginaire de la conscience mais dans leur activité, dans les rapports de production, qui sont les liens réels qui les unissent et peuvent les asservir. Ainsi, comme il le note dans les Thèses sur Feuerbach, si « les philosophes n’ont fait qu’interpréter diversement le monde, ce qui importe, c’est de le transformer » (§ 11). Or une telle transformation ne saurait être rendue possible par un simple décret de la pensée : la révolution ne saurait être que la conséquence de l’histoire dialectique de l’activité humaine et des conditions matérielles de l’existence des hommes, l’accroissement des inégalités, produit d’une division du travail déshumanisante, ne pouvant à terme que provoquer une réaction, susciter un mouvement de libération. La liberté est ici inséparable d’une logique de l’histoire, dont la pensée ne fait que tenir le registre.   

 

                                   C. Le savoir comme négation de la liberté.

 

            1. Si le savoir ne permet pas encore d'agir, si le savoir ne m'apprend pas quelles sont les conditions capables de me rendre libre, c'est peut-être essentiellement parce que la liberté ne peut pas être objet de connaissance. Puis-je, en effet, faire de la liberté un objet de science ? N'est-elle pas, au contraire, ce sur quoi toute démarche scientifique échoue, la limite même de cette démarche ? Le mouvement libre est, par définition même, imprévisible ; or, toute démarche cognitive[6] consiste justement à inscrire un phénomène dans un enchaînement causal : expliquer un phénomène, c'est, en ce sens, le rendre prévisible, l'inscrire dans un ordre. Ainsi, attribuer la liberté à un phénomène, dire que quelque chose est libre, c'est, en quelque sorte, signer l'échec de la pensée, dans la mesure où ce qui est libre échappe à l'explication. Ce qui est libre se dérobe à la rationalité, ce que souligne bien, dans une certaine mesure, Descartes, dans les Principes de la philosophie, quand il note que "la liberté de notre volonté se connaît sans preuve[7] par l'expérience que nous en avons". Comment penser alors que le savoir me rend nécessairement libre, si l'on ne peut pas parler d'un savoir de la liberté sans tomber dans le paradoxe, sans se contredire ? Un savoir de la liberté ne nierait-il pas la liberté ? Comme le note Alain : "Une preuve de la liberté tuerait la liberté".

 

            2. Si la liberté ne peut être objet de connaissance, c'est peut-être aussi, comme le note Husserl dans La crise de la conscience européenne, parce que la science n'a rien à nous dire sur le monde humain. La démarche scientifique met entre parenthèse toute perspective axiologique : l'objet de l'expérimentation scientifique est un objet sans profondeur, dont l'analyse se développe en dehors de la signification que lui attribue mon expérience. La table est pour le physicien une distribution d'atomes, caractérisée par une structure atomique particulière; mais est-ce là la table sur laquelle je m'appuie, sur laquelle je rêve, sur laquelle je m'endors à l'occasion d'une correction ennuyeuse, la table de mes espoirs, de mes chagrins, de mes lassitudes,( mes bonheurs ?) d'écolier ? La Crataegus oxyacantha du botaniste pousse-t-elle dans la même nature que les buissons d'aubépine d'A la recherche du temps perdu de Proust ?

 

            3. Inversement, on pourrait se demander en quelle mesure le savoir n’implique pas, comme condition de possibilité, que nous soyons libres de toutes activités. Dans cette perspective, ce n’est pas tant le savoir qui nous rendrait libre mais plutôt la liberté qui nous permettrait de développer un savoir véritable. Ainsi, comme le relève Hannah Arendt  dans La condition de l’homme moderne, la pensée occidentale, jusqu’aux débuts des temps modernes, repose sur l’opposition entre la vita contemplativa (la vie contemplative) et la vita activa (vie active) : la science n’est possible que dans le repos de la contemplation, ce qui implique un affranchissement à l’égard de toutes activités vitales ou politiques. Le Vrai ne saurait se révéler que dans le silence et le calme parfaits, que pour celui qui n’a plus rien à faire, qui n’est plus aux prises avec les nécessités de l’existence ou avec les exigences politiques. La theoria (contemplation) grecque suppose ainsi la skhole, l’affranchissement de toutes activités ; de la même façon, le savoir suppose l’otium pour les Latins, le loisir, qui est avant tout l’exemption de toutes activités politiques.

Aristote distingue ainsi les activités qui sont liées à la nécessité, tous les modes de vie par lesquels l’homme pourvoie à sa survie (le travail), des activités libres, qui se rapportent au bios et qui ont en commun le culte du Beau, la beauté supposant la sortie hors du cercle de l’utilité et de la nécessité (Politique, 1333 a). Ces activités libres sont la vie de plaisirs, la vie consacrée à la polis, la Cité (la politique apparaît encore comme une activité librement choisie et non comme une contrainte), la vie du philosophe, consacrée à la contemplation des choses éternelles. De la même façon, s’interrogeant sur le conditions de possiblité des sciences, il note au début de la Métaphysique (livre A), que celles-ci ne sauraient être possibles sans une certaine liberté : les mathématiques n’ont été rendues possibles que parce que l’on disposait d’un certain temps libre. Qui est pressé par la nécessité, qui doit chercher les moyens de sa subsistance, ne considère que ce qui lui est utile et non la vérité.

             « Ventre creux n’a point d’oreilles » dit la sagesse populaire... La contemplation est le fruit de la liberté, bien plus que sa condition de possibilité.

 

 

                       

D. Le savoir comme résignation.

           

            1. On peut bien se demander, d'autre part, quel sens aurait la liberté, si elle ne s'exprimait que dans les limites de notre connaissance ? "Apprends d'abord, tu exprimeras ta volonté après" : la formule prêterait à rire si elle n'était pas l'expression par excellence des tyrannies. Comme le note Kant dans La religion dans les limites de la simple raison, on ne peut apprendre la liberté qu'en se libérant : tout peuple est ainsi toujours "mûr" pour la liberté et ce n'est que des sages craintifs devant les "désordres" de la liberté ou des tyrans rusés, qui voudraient faire dépendre la liberté de l'acquisition d'un savoir, la régler sur les impératifs de la raison. N'exprimer sa volonté que dans les limites de son savoir, ne serait pas là l'expression d'une résignation plutôt qu'une revendication de liberté ? En ce sens, l'expression de la liberté n'attend pas le savoir et l'excède.

 

            2. Faut-il donc attendre de savoir pour agir ? Qui attendrait de posséder un savoir certain avant d'agir risque d'attendre aussi longtemps que ce paysan dont Horace nous parle dans ses Epîtres (I, 2, 40) :

                                   "Commence et ose être sage

                                   Différer l'heure de bien vivre c'est faire comme ce paysan

                                   Qui attend pour passer le fleuve, que l'eau ait fini de couler.

                                   Mais le fleuve coule et, roulant toujours, coulera pour l'éternité"

 

            "Commence et ose être sage"...Vivre, c'est se risquer. Quand bien même nos décisions se poseraient en terme de savoir, quand bien même celui qui délibère cherche à y voir clair sur l'objet de sa délibération, il y va toujours dans le choix d'une certaine impatience. Le problème est là : nous n'avons pas le temps d'attendre la certitude. Ainsi, une éthique qui ferait entièrement dépendre notre liberté de l'acquisition d'un savoir certain serait une éthique taillée pour des hommes qui n'ont pas affaire au temps, une éthique faite pour des dieux (mais il n’y a justement aucune éthique divine car les dieux n’ont pas affaire au temps). Qui se décide, ose ; se décider, c'est se jeter . Il en va ainsi d'un pari dans toute affirmation de liberté ; vouloir, c'est toujours, dans une certaine mesure, se précipiter, car, comme le note Descartes dans les Principes de la philosophie (I,3) : "les occasions d'agir en nos affaires se passeraient presque toujours avant que nous puissions nous délivrer de tous nos doutes » , faisant écho ici à Montaigne qui notait déjà dans ses Essais qu’à vouloir tout nous apprendre, «on nous apprend (alors) à vivre quand la vie est passée ».[8]            Ainsi, le doute est peut-être un instrument précieux pour celui qui veut découvrir des vérités et veut fonder un savoir certain, autant il peut apparaître dangereux de trop y reccourir quand il s'agit d'agir, car il risque de nous abandonner dans la plus complète irrésolution. [9] Or, les jugements pratiques ne doivent pas être simplement les plus droits possibles mais aussi les plus prompts. N’est-ce pas d’ailleurs cette promptitude dans la délibération, jointe à la rectitude du jugement, que nous admirons chez le héros ? L’action se signale toujours comme urgence : le grand homme d’action est celui qui a cette intelligence particulière, cette intelligence sur le qui-vive, qui fait face aux circonstances les plus déconcertantes, sait pallier à l’absence de toute certitude, de toute science.

 

            3. Dès lors,on peut se demander en quelle mesure la liberté n’enveloppe pas une part d’ignorance et d’illusion qui en serait l’horizon nécessaire et la condition de possibilité même. Si l’on ne peut pas attendre d’avoir une pleine connaissance pour agir, ne peut-on aller jusqu’à dire qu’une telle connaissance ruinerait toute possibilité d’action ? Toute action n’enveloppe-t-elle pas en effet une part d’aveuglement nécessaire ? Comment pourrions-nous nous saisir de quelque objet que ce soit et fondre sur notre but si nous prenions garde aux nuances infinies qui distinguent toute chose ? L’action appelle une simplification du réel, telle que celui-ci soit mis à la portée de nos besoins ; les embarras et les précautions de la connaissance ne sauraient qu’entraver une telle capture. C’est bien ce que souligne Nietzsche dans la Naissance de la Tragédie : « la connaissance tue l’action, il faut à celle-ci le nuage enveloppant de l’illusion » (§ 7) . En ce sens, une certaine ignorance n’est pas sans garantir le caractère fulgurant de l’action, un désir qui tend sans inquiétude vers sa proie. Et l’on pourrait bien dire alors que « plus l’oeil est obtus, plus grand est le domaine du bien » (Gai savoir, § 53), plus grand est, de même, le domaine de la liberté, qui ne s’ouvre qu’à celui qui sait s’aveugler, quand l’occasion le réclame...

                                                           Si le savoir n'est pas une condition suffisante pour être libre, si l'affirmation du savoir peut même rentrer en contradiction avec l'exigence de liberté, est-ce à dire pour autant je peux être libre tout en étant ignorant, voire même que l'ignorance serait le fondement de la liberté ? [10]

 

 

 

 

                                   II. Le savoir comme libération

                                        La liberté comme enjeu de  connaissance.

 

                        A. L'ignorance n'est-elle pas la pire des servitudes ?

 

            1. En effet, que peut bien être une liberté qui ne serait que l'envers de mon ignorance? Je me croirais libre uniquement parce que je ne vois pas les causes qui me déterminent à être ce que je suis. Je serais libre comme l'est une marionette qui ne serait pas consciente des fils qui la font se mouvoir. C'est dans ce sens que Spinoza entreprend dans l'Ethique et dans la Lettre à Schuller la critique du libre-arbitre : les hommes croient agir selon le libre décret de leur volonté, tout simplement parce qu'ils ne sont pas conscients des causes efficientes, des causes réelles, de leurs actes. L'alcoolique croit dire librement ce qu'il regrettera d'avoir dit lorsque l'effet de l'alcool se sera estompé, l'enfant croit librement appéter le lait de sa mère, etc... Dans ce cas, la liberté risque de n'être que la compensation imaginaire à une détermination que nous n'osons pas affronter.

 

            2. Si l'ignorance fait ainsi de la liberté une chimère, c'est peut-être aussi essentiellement parce qu'elle vide le choix de tout sens. Quel sens peut bien avoir, en effet, un choix qui serait fait aveuglément ? Choisir sans savoir ce que l'on choisit ni pourquoi on le choisit, c'est, à bien y penser, ne pas choisir mais s'en remettre au hasard : un choix fait totalement aveuglément est plutôt vécu comme une fatalité (je m'en remets à la chance) que comme une expérience de liberté. Le choix ne prend son sens véritable que dans la mesure où je choisis en connaissance de cause, où mon choix est informé. Ainsi, comme le note Descartes dans la Quatrième des Méditations métaphysiques, si le choix indifférent (je peux choisir indifféremment une chose ou son contraire, affirmer ou nier indifféremment, sans que rien ne m'incline à choisir un parti plutôt que l'autre) est bien la première expression  de la liberté, et une expression fondamentale (car en dehors de cette indifférence pourrait-on encore parler de liberté ?), il n'empêche qu'une telle liberté n'a encore la valeur que d'une possibilité sans contenu positif (réel) : ainsi, un choix indifférent marque "plutôt un défaut de ma connaissance qu'une perfection de ma volonté", c'est là "le plus bas degré de ma liberté". Ainsi,  j'aurais d'autant plus le sentiment d'avoir choisi librement que  mon choix est informé : par conséquent, tout choix est un enjeu de connaissance et mon savoir "loin de diminuer ma liberté, l'augmente plutôt, et la fortifie".

 

            3. Ainsi, plus mon choix est informé, plus je suis libre : ce lien nécessaire entre mon savoir et ma liberté trouve une expression particulièrement forte dans le mythe d'Er que développe Platon au dixième livre de la République. Après leur mort, des hommes sont convoqués devant Lachésis, fille de la Nécessité, qui leur demande de faire le choix d'une nouvelle destinée, parmi toutes celles qu'elle leur propose. Ces destinées sont multiples et diverses : des vies d'animaux, des vies humaines ; du tyran richissime, omnipotent, du héros magnifique, de l'éphèbe adoré au destin obscur et sans relief du mendiant. Chacun choisit à tour de rôle sa destinée future suivant le rang que le hasard a bien voulu lui attribuer. Que choisir ? Quelle destinée élire ? Toute la difficulté du choix réside dans la mesure de la valeur de ces destinées : le bonheur futur est suspendu au jugement, à la perspicacité de celui qui choisit, sa capacité à apprécier les conséquences et la valeur des partis qu'on lui propose. Ainsi, faute d'avoir examiné suffisamment ces destins qui leur sont proposés, faute d'en avoir éprouvé la valeur jusque dans leurs ultimes conséquences, la plupart d'entre eux font le choix aveugle d'un destin qui ne proposait pourtant que l'apparence du bonheur : le premier d'entre eux élit précipitamment le destin d'un tyran omnipotent, sans voir qu'une telle destinée entraîne avec elle tout un lot d'angoisses et d'abominations.

             Ce que montre le mythe d'Er, c'est qu'il n'y a pas de disproportion entre le savoir qui préside à mon choix et les conséquences de mes actes : si je fais le pire, c'est parce que mon choix était mauvais, qu'il n'est pas suffisamment informé. Le choix s'exprime en terme de savoir : toute décision est suspendu à l'état de ma connaissance. Ainsi, ma liberté est toujours, dans une certaine mesure, la forme réfléchie de l'étendue de mon savoir. Qui sait, en ce sens, choisit bien librement, et d'autant plus librement que son savoir est grand.

 

            4.La liberté n’engage-t-elle pas ainsi essentiellement la question du rapport entre l’étendue de notre volonté et celle de notre connaissance ? Comme le note Schopenhauer dans ses Observations psychologiques (& 304), « chaque animal, et spécialement l’homme, a besoin, pour pouvoir exister et prospérer dans le monde d’une certaine conformité et proportion entre sa volonté et son intellect » ; le malheur, en ce sens, n’est que la conséquence de la disproportion de l’une et de l’autre, soit que l’homme apparaisse comme un monstrum per excessum (un monstre par excès), à l’instar du génie, dont le « caractère excentrique, fantasque » tient à l’excessive prédominance de l’intellect sur la volonté, soit, inversement, qu’il apparaisse comme un monstrum per defectum (un monstre par défaut), à l’instar du barbare, dont la volonté erre, tout aussi aveugle que violente, n’étant pas suffisamment éclairée par l’intellect. Tout l’enjeu de la liberté consiste justement dans la recherche d’une adéquation entre la volonté et l’intellect : l’éthique peut apparaître comme le nom donné à cette exigence et à cette recherche.

 

                                   B. Le savoir comme maîtrise et pouvoir.

 

            1.Le savoir comme maîtrise de la nature : la technique.

Dans une telle perspective, le savoir n'a pas qu'une valeur spéculative[11] mais essentiellement une valeur pratique : il ne s'agit pas alors de  savoir pour savoir ; l'enjeu de la connaissance est la puissance et la maîtrise des forces naturelles. Ainsi, plus ma connaissance serait grande, plus grande seraient mes possibilités d'action et mes chances de parvenir à mes fins. Le savoir ne serait pas alors à lui-même sa propre fin mais le moyen d'une fin plus haute, la liberté : il ne prendrait un sens que dans la mesure où il se signifie comme pouvoir, où il apparaît utile. Le savoir serait une forme d'eudémonisme, une recherche du bonheur : c'est bien là la façon dont Descartes apprécie les connaissances dans le Discours de la méthode (Sixième partie) ; elles doivent d'autant plus être recherchées qu'elles sont utiles, qu'elles nous permettent d'atteindre nos fins et de satisfaire nos désirs, en nous rendant "comme maîtres et possesseurs de la nature". Dans cette perspective, Prométhée serait la figure véritable du savant ; le bonheur serait l' "arrière-pensée" de tout savoir : qui connaît la nature cesserait de subir aveuglément sa nécessité et pourrait au contraire tourner les forces naturelles en vue de son profit.

 

            2.Le savoir comme sagesse et maîtrise de sa propre nature.

De même, comment pourrait-on atteindre à une quelconque liberté sans connaître les lois de notre nature et notre position dans le monde ? "L'homme n'est pas un empire dans un empire" comme le note Spinoza dans l'Ethique : c'est en développant une connaissance claire de sa position dans le monde qu'il se donne les moyens de la changer. La plupart de nos maux ne sont que le produit de fausses représentations de nous-mêmes et de la situation dans laquelle nous nous trouvons : la servitude est toujours la conséquence d'un rapport imaginaire à soi. La nécessité ne devient un arbitraire aveugle que pour celui qui en méconnaît les relations et, en fait de destin, nous ne sommes victimes que des représentations inadéquates que nous nous faisons de nous -mêmes et du monde. Ainsi, comme le souligne Nietzsche dans Aurore, « Mal penser, c’est rendre mauvais - les passions deviennent mauvaises et perfides lorsqu’on les considère d’une façon mauvaise et perfide ».

             En ce sens, on ne saurait réduire le problème de la liberté à la simple question du pouvoir dont nous disposons pour accomplir nos désirs : le problème n’est pas tant de pouvoir faire ce que nous voulons que de savoir ce que nous voulons. Or, une telle connaissance, loin d’être spontanée, suppose une éthique qui soumette à l’analyse nos représentations.

Faute d’éclairer ainsi notre identité, ne risque-t-on pas, à l’instar de la grenouille dont nous parle La Fontaine, de nous épuiser au nom d’une représentation de soi illusoire, de poursuivre une perfection qui, ne correspondant pas à notre nature, ne saurait que nous entraîner dans l’absurde ou dans la mort ?

 

                        « LA GRENOUILLE QUI SE VEUT FAIRE

                        AUSSI GROSSE QUE LE BOEUF

 

                        Une grenouille vit un boeuf

                                   Qui lui sembla de belle taille.

                        Elle qui n’était pas grosse en tout comme un oeuf

                        Envieuse s’étend, et s’enfle, et se travaille

                                   Pour égaler l’animal en grosseur,

                                   Disant : Regardez bien, ma soeur ;

                        Est-ce assez ? Dites-moi ; n’y suis-je point encore ?

                        -Nenni. -M’y voici donc ? - Point du tout. -M’y

                                                                                              [voilà ?

                        - Vous n’en approchez point. La chétive pécore

                        S’enfla si bien qu’elle creva.

                        Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :

                        Tout Bourgeois veut bâtir comme les grands Seigneurs,

                                   Tout petit Prince a des Ambassadeurs,

                                   Tout Marquis veut avoir des Pages. »

                                                                                              (Fables, Livre I, III)

 

Combien s’enflent ainsi de désirs imaginaires qui outrepassent leur propre nature jusqu’à ce qu’ils en éclatent ? La liberté est sans doute inséparable d’une connaissance éthique qui est à même d’éclairer notre nature : c’est la liberté du sage qui conforme sa volonté à sa nature et apprend à ne vouloir rien d’autre que ce qui correspond à sa perfection singulière.

 

            3.Le savoir comme libération politique.

Ainsi, la plus solide de nos chaînes serait l'ignorance, ce dont la servitude politique est l'expression par excellence. Pourquoi, en effet, l'esclave se résigne-t-il à porter les chaînes ? Est-ce vraiment parce que la puissance du maître est bien plus grande que la sienne ? Toute force n'est-elle pas pourtant relative ? Si l'esclave supporte le joug, c'est peut-être essentiellement parce qu'on lui a fait croire que ces chaînes étaient légitimes et non pas arbitraires. Là est le vrai scandale de la servitude, comme le note Rousseau dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes : l'esclave aime ses chaînes ; on a réussi à le convaincre que les inégalités ne sont pas le produit arbitraire de l'histoire mais qu'elles sont naturelles, que si le maître est maître, c'est parce qu'il est le meilleur, que son pouvoir donc n'est pas usurpé mais mérité.[12] Ce qui fonde ainsi tout pouvoir tyrannique, c'est essentiellement un imaginaire du pouvoir (si ce pouvoir ne donnait pas lieu à une représentation imaginaire, "fantastique", fantasmatique, chez ceux qui le subissent, comment pourrait-il se maintenir ? Comment un seul, pourrait-il continuer de faire régner la terreur sur tous ?)

            Tout le Discours de Rousseau aura justement pour but de rompre cet imaginaire du pouvoir, de découvrir le véritable fondement des inégalités, de montrer que ces inégalités ne sont pas une fatalité dont il faudrait accuser je ne sais quel dieu, mais qu'elles sont filles de l'histoire, de l'arbitraire historique. Le savoir prend ici un sens révolutionnaire : en effet, un esclave qui ne croit plus dans la légitimité du pouvoir qui l'asservit continuera-t-il d'en supporter le joug ? Un esclave qui pense n'est plus un esclave docile...

 

 

 

                                              


 

[1]Prométhéen de : Prométhée. Par "rêve prométhéen", j'entends le rêve d'une connaissance libératrice, qui permettrait à l'homme de maîtriser les forces de la nature et de les tourner à son avantage. Le mythe antique de Prométhée est le suivant : le frère de Prométhée, Epiméthée, a été chargé par les dieux de répartir les dons naturels entre toutes les espèces vivantes : Epiméthée dote donc certaines d'entre elles de la dextérité, d'autres de la force, etc...Mais Epiméthée est étourdi : il a oublié, dans ce partage, d'attribuer à l'homme, un don naturel particulier. L'homme est nu et sans défense. Pour corriger l'incurie de son frère, Prométhée se rend en la demeure des dieux et leur dérobe le feu et la connaissance des arts (dans le sens ici de savoirs techniques) afin d'en pourvoir l'homme.Ce mythe est bien en quelque sorte l'expression symbolique d'une revanche sur un destin naturel par le développement d'un savoir qui permettrait à l'homme de maîtriser les forces de la nature.

[2]...la compensation maladive de l'intellectuel qui n'ose pas affronter la vanité de sa tâche et qui essaie de  se convaincre que tout son savoir, que toute son érudition ne sont futiles ?

[3]Rupture, discontinuité.

[4]Je laisse à votre sagacité le soin de découvrir le lien entre le stratège, le cuisinier et l'amant.

[5]"Il nous incombera donc, à nous fondateurs, d'obliger les meilleurs naturels à se tourner vers cette science que nous avons reconnue tout à l'heure comme la plus sublime, à voir le bien et à faire cette ascension". (519c-520c)

[6]Démarche cognitive = démarche de connaissance.

[7]C'est moi qui souligne.

[8] Essais, « De l’institution des enfants », I, XXVI.

[9] Descartes relève ainsi, tout au long de son oeuvre, la rupture qui distingue l’ordre de la pensée et l’ordre pratique et morale : on ne saurait confondre les exigences spécifiques de ces deux ordres. Ainsi, ce qui vaut pour la pensée et peut apparaître comme un critère de son perfectionnement peut s’avérer tout à fait inopérant dans l’ordre pratique, peut même apparaître comme un obstacle à l’action. La rectitude de la pensée n’est pas du même ordre que la rectitude de l’action ; la démarche la plus rationnelle n’est pas toujours la plus raisonnable, et qui veut régler sa conduite sur le pas de la raison doit parfois s’accommoder des détours de l’illusion et des coutumes arbitraires : « Les grands corps (les sociétés) sont trop malaisés à relever, étant abattus, ou même à retenir, étant ébranlés, et leurs chutes ne peuvent être que très rudes. Puis, pour leurs imperfections, s’ils en ont, comme la seule diversité qui est entre eux suffit pour assurer que plusieurs en ont, l’usage les a sans doute adoucies ; et même il en a évité ou corrigé insensiblement quantité, auxquelles on ne saurait si bien pourvoir par prudence. Et enfin, elles sont quasi toujours plus supportables que ne serait leur changement : en même façon que les grands chemins, qui tournoient entre les montagnes, deviennent peu à peu si unis et si commodes, à force d’être fréquentés, qu’il est beaucoup meilleur de les suivre, que d’entreprendre d’aller plus droit, en grimpant au-dessus des rochers, et descendant jusques au bas des précipices » (Discours de la méthode, Deuxième partie).

[10]Notez que les transitions d'une partie à l'autre sont particulièrement importantes : elles vous permettent d'enchaîner votre réflexion, en tirant les conséquences de l'hypothèse que vous avez examinée dans un premier temps, en éprouvant la valeur de ces conséquences, afin de retourner la perspective.

[11]Idée d'un savoir qui n'aurait pas d'autre fin que la connaissance elle-même.

[12] Ce scandale d’une « servitude volontaire », c’est aussi celui que La Boétie pointe au seizième siècle dans son Discours de la servitude volontaire, paradoxe que Vauvenargues fait éclater au dix-huitième siècle, en une formule lapidaire : « La servitude avilit l’homme au point de s’en faire aimer ». C’est tout le problème de l’exercice et du maintien de la tyrannie qu’éclaire le discours de La Boétie : Pourquoi tous se courbent devant le tyran ? Pourquoi le tyran peut-il impunément donner à ses caprices le nom de lois ? Peut-on estimer que c’est par sa force propre, objective, que le tyran se fait respecter ? Non, car qu’est-ce que la force d’un seul au regard de la force d’une foule ou d’un peuple? Par conséquent, le pouvoir tyrannique ne repose pas sur la force du tyran mais sur le consentement des esclaves et seul ce consentement garantit le pouvoir tyrannique. C’est là le retournement qu’opère La Boétie et, à la suite, le scandale qu’il met en évidence : le tyran n’asservit que dans la mesure où l’esclave se fait esclave ; c’est l’esclave qui se donne un tyran , nul tyran ne serait possible sans cet appel : « Celui qui vous maîtrise tant n’a que deux yeux, n’a que deux mains, n’a qu’un corps, et n’a autre chose que ce que le moindre homme du grand et infini nombre de nos villes, sinon l’avantage que vous lui faites pour vous détruire. »